DANS LE FLOW DE L'HIMALAYA...

(Le "seito Sherpa" et l'Everest en toile de fond...)

Le Solukhumbu Trail 2013 est terminé depuis une bonne semaine et j’éprouve toujours quelques difficultés à réaliser ce que nous venons de vivre… Le retour sur Terre est des plus difficiles.

Comment raconter, comment tenter de résumer un tel séjour ?... Les mots manquent pour narrer les forts moments vécus, pour décrire les sensations éprouvées, les paysages découverts. Les phrases sont dures à construire tant je me demande si les mots employés seront suffisamment justes et appropriés pour que le lecteur puisse en saisir la portée.

Je savais que le Népal m’enchanterait une seconde fois, il ne pouvait en être autrement. Je ne pouvais que retrouver la magie de mon précédent voyage. Mais, une fois de plus, ce que j’imaginai allait vite être rattrapé et dépassé par une réalité déroutante… Une fois de plus, le Népal allait se dévoiler au-delà des ses promesses…

La course s’est déroulée sur 14 étapes, toutes aussi irréelles les unes que les autres.

Chaque jour a dévoilé son lot de découvertes. Chaque foulée, chaque mètre parcouru nous a remplit de d’émerveillements et de bonheurs.

Nous avons couru une course hors du commun.

Une course unique, entre voyage, aventure humaine et un minimum de compétition quand même. Une course ardue par moment, éprouvante par d'autre, mais qui s'est toujours déroulée dans des décors de rêve faisant largement oublier les difficultés rencontrées... Le SKT est une vraie course d'endurance où il faut savoir gérer ses efforts et son état de forme si l'on veut espérer tenir jusqu'au bout. Endurance, un mot que j'affectionne de plus en plus au fil des années... un mot qui, en trail, permet d'envisager tous les rêves les plus fous, qui permet d'envisager l'impossible...

  

Nous avons traversés des lieux magiques.

Comme le lac sacré de Dokhunda, le monastère de Taksindu, l’école et le village de Chulemo, des points d’altitude perchés à plus de 5 000 mètres (le Renjo Pass, le Gokyo Peak, le Chola Pass, le Kala Patthar), des lieux qui nous ont gratifié de vues incroyables sur les hauts sommets de l’Himalaya (Everest, Nupsé, Lhotsé, Pumori, Ama Dablan,…).

 

Nous avons rencontré des Népalais extraordinaires.

Les coureurs (Manikala, Pemba, Lhakpa), le staff (Dorjee, Pemba, Passang,…), les porteurs (Tsiring and Co) et autres illustres inconnus croisés en chemin. Tous, des êtres dotés d’une simplicité et d’une gentillesse hors-normes. Des êtres toujours souriants quelque soit la situation, des êtres accueillants, attentionnés, généreux, altruistes…Des êtres très humbles quant bien même ils étaient de remarquables athlètes… Des êtres fort attachants…

(Népali Team !)

Nous avons eu la chance, le privilège de côtoyer Dawa Sherpa.

Dawa, un champion au cœur d’or. Un gars exceptionnel dont l’objectif premier était de nous faire découvrir un Népal authentique. Ses motivations et aspirations profondes, bien loin de celles des agences de trek qui ne se contentent que de passer, nous ont permis de nous immerger complètement dans les régions sillonnées.  Avec Dawa, les portes des monastères et des écoles s’ouvrent, les pujas pétaradent, les habitants vous accueillent à bras ouverts dans leur modeste demeures, les courses de porteurs s’organisent,…Au nom de tous, un grand merci Dawa !...

   

Interview Dawa à Chulemo

Nous avons noué des contacts étroits et sincères avec les autochtones.

En apprenant quelques mots de leur langue (« Tapaïko name kéo ? », « tato pani », « sac momos » et autres « bilalou »…) ; en les observant vivre, en partageant leur quotidien (comme au cours de cette nuit mémorable passée chez l’habitant) … nous avons pu poser un regard autre sur leur existence. Pas un regard chargé de compassion et de pitié mais un regard de respect et d’admiration. Nous nous sentions tous un peu Sherpas à la fin du voyage…

     

Nous avons joué avec des enfants au regard espiègle.

Des enfants dont les seuls jouets étaient des cailloux, des bouts de bois ou une vieille balle de tennis… Des enfants dont le regard, le sourire, la joie de vivre nous ont submergé d’émotions…

 

  

Nous avons vécu des moments vraiment extraordinaires.

Des moments extraordinaires au sens littéral, qui sortent de l'ordinaire... comme cette puja privée à Karikhola ou la nuit passée chez l'habitant à Chulémo. Une soirée extraordinaire où nous avons pu mesurer la gentillesse et le sens de l'accueil des Népalais. Nous avons partagé le thé au lait de yak salé et la soupe de makaï (maïs) avec nos hôtes et nos porteurs, tous dormis dans l'unique pièce de la maison. A 3 heures du matin, réveillés par la fumée du feu de la cuisine, nous avons aidé la maîtresse de maison à confectionné les chapatis (espèces de crêpes) pour le petit-déjeuner pendant que le bilalou (le chat) dormait à même les cendres tièdes... un moment irréel...

    

Nous avons connu une équipe médicale - Anaïs et Stéphane - prodigieuse.

Des médecins attentionnés, s’inquiétant (toujours avec diplomatie) de nos états de formes. Des médecins dont nous avons pu apprécier la réactivité et le professionalisme notamment dans l’épisode tragique de « l’accident de Thierry »… Des médecins dévoués qui se sont aussi occupés des locaux (porteurs, enfants malades) et des trekkeurs étrangers avec une incroyable abnégation. Des médecins très sportifs pour la circonstance. Des médecins débordant d’humour et de pétillance. Des médecins qui se sont pleinement immergés dans la culture locale, qui parlaient presque couramment népalais à la fin du séjour, qui ont noué d’étroits contacts avec la population locale. Et qui ont développé le concept de « belote népalaise » pour animer les soirées en lodge… 

Nous avons été imprégnés, non sans une certaine acceptation, de culture bouddhiste.

Partout s’élèvent des stupas, des murs des manis, des guirlandes interminables de drapeaux de prières (lungta). Ces éléments, qu’il faut bien prendre garde de contourner par la gauche pour ne pas déclencher le courroux des divinités, remplissent les lieux d’une sérénité communicative. Ils participent à la magie et au mystère du pays.

Nous avons vécu une forte amitié entre coureurs.

Cette amitié s’est transformée au fil des kilomètres, en véritable fraternité. Frères des cimes, frères d’Himalaya. Les compétiteurs du début se sont vite transformés en compagnons de route. Les notions de solidarité, de sollicitude ont vite supplantées l’esprit de compétition et les objectifs de performance… Nous avons vécu des situations où le chronomètre n’avait plus d’importance, où l’autre était plus précieux que le soi.

Nous avons pensé, sans cesse, à nos amis Régine et Thierry.

Thierry est le 17ième coureur, celui dont le nom n'a jamais figuré sur les classements d'étape. C'est un traileur et un triathlète émérite qui a de très belles courses à son actif (il avait déjà couru le Solukhumbu Trail et été, entre autre, finisher du terrible Norseman Triathlon en Norvège,...). Le premier jour de course il fait une tragique chute de 10 mètres de haut. Il tombe dans une ravine, près d'une rivière. Il est sacrément amôché, la tête ensanglantée, la clavicule explosée, le dos touché... Je fais partie de ceux qui lui porte les premiers secours. L'équipe médicale le prend rapidement et efficacement en charge et il est ensuite héliporté vers l'hôpital de Kathmandou et rapatrié en France. C'est un grand moment d'émotion qui nous marquera durant tout notre séjour... Thierry et son épouse Régine étaient en voyage de noces ; ils étaient aussi les ambassadeurs de l'école d'Houilles, école jumelée avec l'école de Chulémo. Thierry avait conduit un extraordinaire travail pédagogique avec ses élèves et il apportait à Chulémo des tas de compositions pour les enfants népalais. C'est avec fierté et en son nom que nous avons distribué les dessins réalisés au cours d'une extraordinaire cérémonie à Chulémo...

 (Thierry au centre, en orange)

Nous avons aussi souvent pensé à nos proches, à nos amis.

L'éloignement, le temps, les grands espaces, l'isolement, l'impossibilité de communiquer, la pression de la course (pour certain), l'hostilité des lieux... mais aussi la splendeur et la féérie des lieux... font que l'on pense souvent à nos familles et à nos amis restés en France... On se dit qu'à certains moments, ils auraient aimé être à nos côtés, à certains autres moments moins... Il y a des endroits comme au lac de Dokhunda, comme au Kala Pattar où les émotions sont tellement fortes en pensant à nos proches que les larmes coulent à flot... C'est aussi pour eux que nous courons... J'ai, pour ma part, souvent pensé à Cathy, Clémentine, ma mère, mon père qui aurait été fier de me voir franchir le Gokyo Peak en 3ième position, à mon frére Eric, à mes amis coureurs du MTC, à mes amis montagnards, à Pascalito et Dodo, à Hubert, à Matthieu et à de nombreux autres encore... 

  

Nous avons apprécié un organisateur de course hors-pair : Patrick Michel.

Patrick, connu dans le monde du trail en sa qualité d’organisateur du Trail Blanc de Serre Chevalier et de la Merrel Sky Race, a pris le relais de Dawa Sherpa vers le milieu de la course. Intransigeant sur la sécurité mais néanmoins ouvert et conciliant, connaissant bien le parcours pour l’avoir couru à deux reprises, il a su relever le défi et apporter à la course une dimension différente et appréciée des coureurs. Plus qu'un coach, Patrick a été un véritable "berger" se préoccupant sans cesse de ses brebis (égarées ou pas...)

Nous avons subi l’adversité.

Le froid, la fatigue, la technicité des parcours, les effets insidieux de l’altitude qui terrassent les organismes… Du coup, nous avons du apprendre à être solidaire et surtout à nous reposer, à progresser avec retenue, à agir suivant la philosophie bouddhiste qui prône qu’il faut « sourire, respirer et agir (« courir » en l’occurrence) lentement »… Des notions presque antinomiques avec la course à pieds en compétition mais qui a apporté une vision et un sens uniques à nos foulées nomades…

Nous avons découvert des modes de vie très différents du nôtre.

C’est le propre des voyages à l’étranger, de l’Ailleurs. Tsampa au petit-déjeuner, dal-bath (lentilles-riz) le soir ; des plats répétitifs mais énergétiques et adaptés aux efforts que nous avions à fournir ; les nuits dans les lodges avec leur chambre glacées au confort rudimentaire ; le rituel du black tea et des hot lemon ; le croisement des coolies qui portent des charges effarantes (souvent supérieure à leur propre poids) ; une autre notion du temps, une dimension spirituelle fortement ancrée…

 

  

Nous avons appris qu’il fallait arrêter de chercher le bonheur.

Que ce dernier était à l’intérieur de nous tous. Qu’il fallait juste le laisser s’exprimer. Qu’il n’était pas lié à une quelconque histoire de biens matériels… bien au contraire. Les Népalais nous ont montré qu’avec presque rien, qu’avec des conditions de vies très rudes, qu’avec la simplicité et l’humilité qui les caractérisent, qu’avec la soif de partage qui les anime, la vie recélait de moments forts en émotions et en échanges marquants…. Nous avons appris que l’essentiel était dans l’Être et non dans l’Avoir.

Nous avons reçu des enseignements d’une sagesse incomparable.

Notamment la notion de « vivre l’instant présent », de ne pas se préoccuper des lendemains à venir mais de vivre pleinement « l’ici et maintenant ».  D’oublier la météo qu’il pourrait faire, du froid qu’il fera, de la raideur de la pente qui se présentera et de profiter du verre de thé que l’on tient à la main ou du spectacle des craves à becs rouges qui surfent dans la brise des glaciers… Nous avons appris que la vie se conjuguait au présent, que « le passé était passé, l’avenir sera à venir et que le présent est un cadeau… ».

Nous avons surtout découvert une nouvelle dimension de l’ultra-trail…

Notamment grâce à la vision prônée par Dawa qui nous a recentrés sur le pourquoi du « nous courons » ; la ligne d’arrivée et le classement final ont été rapidement oubliés ; le cheminement est alors devenu source d’un bonheur sans cesse renouvelé ; le cheminement est devenu le sens de notre course, il est devenu notre motivation première.

Nous avons ingérés ce concept essentielle qui prêche que le chemin est plus important que le but… Voire même que le bonheur n’était pas au bout du chemin mais qu’il était le chemin… L’accomplissement plus fort que la réussite… Comment s’élancer sur les sentiers du Solukhumbu les yeux rivés sur son GPS et ses baskets ?... Comment traverser ces régions, ces paysages sans lever la tête, sans s’arrêter ?...

Aux trekkeurs-touristes croisés en chemin pour qui nous passions soit pour des fous, soit pour des héros… nous répondions invariablement qu’une course comme le Solukhumbu Trail, qui peut paraître très difficile et technique quand on se limite à la décrire par sa distance totale et son dénivelé positif cumulé, n’était en fait pas si extrême que ça. D’une part parce que nous l’abordions plus comme une aventure humaine qu’une compétition. Et que, d’autre part, il fallait la considérer par étapes et non dans sa globalité. Comme disent les sages bouddhistes : « Toute chose difficile n’est que la somme de choses faciles »…

Quant à ceux qui nous qualifiaient (plus ou moins adroitement) de coureurs stupides ne sachant pas profiter des décors de rêves alentours, nous rétorquions qu’en effet nous ne regardions pas le paysage en courant car… lorsque nous courions… nous étions le paysage !...

(A suivre prochainement… des tranches de vie de notre pérégrination népalaise…)

Courpatas de l'Himalaya...

Comments

[Pierre pfx FAURO]

Quel beau cadeau JL de nous faire partager une si belle aventure par ton récit aussi intéressant qu' instructif.

Si je peux me permettre je retiendrai ces pensées fortes que je partage grandement.



"Nous avons appris que la vie se conjuguait au présent, que « le passé était passé, l’avenir sera à venir et que le présent est un cadeau… ».

Nous avons ingérés ce concept essentielle qui prêche que le chemin est plus important que le but… Voire même que le bonheur n’était pas au bout du chemin mais qu’il était le chemin… L’accomplissement plus fort que la réussite… ... Comment traverser ces régions, ces paysages sans lever la tête, sans s’arrêter ?...



MERCI, bises.

Pierre.