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28 janvier 2014

BACK TO HIMALAYA...

Version intégrale de l'article fait pour ULTRA-MAG (partiellement publié dans le N°3)

CARNET DE BORD D’UN SOLUKHUMBER (extrait)

Mercredi 13 novembre 2013, 15h.

Adossé plein soleil contre le mur du lodge, je digère l’assiette consistante d’alus que je viens d’engloutir. Mes yeux sont plongés vers les montagnes enneigées qui me font face. Leurs silhouettes se découpent à l’horizon, traçant d'impressionnantes courbes. Le ciel est d’un bleu métallique insolent. L’étape du jour était une « petite » liaison de 11 kms entre Gokyo et Dragnag. Nous avons couru sur un parcours irréel, jalonnés de spectaculaires moraines glaciaires. L’altimètre indique 4 700 mètres d’altitude. « Repos » est le maître-mot du reste de la journée. Demain, cela  sera une autre affaire avec le passage du Col du Chola Pass à 5 300 m et ses 1 000 mètres de dénivelés positifs… 

Je suis physiquement un peu fatigué mais mon esprit est serein. Je me sens comme apaisé. La tournure prise par la course et la sérénité qui imprègne fortement ce pays m’ont libéré de toute pression. Tsiring, le coolie qui porte mon sac, passe devant moi et me lance un namasté enjoué. Pour lui aussi cette étape relativement courte est vécue comme une bénédiction... Autour de moi, mes compagnons s'occupent à diverses tâches, toutes reposantes et peu coûteuse en énergie. Pemba, Lhakpa et Manikala, les 3 coureurs locaux, discutent paisiblement ; ils semblent insensibles aux effets de l'effort et de l'altitude. Yves dort à poing fermé, son bouquin de sodoku à moitié fermé sur les genoux ; Pierre et Fabien rient de bon cœur ; Lulu sirote une bière Everest bien méritée… Anaïs et Stéphane, nos deux émérites médecins, trient des médicaments tout en révisant leur vocabulaire népalais ; Dany et Caro écrivent elles aussi leurs notes du jour ; Michel et Jean-Pierre parlent du prochain Trail Blanc de Serre Chevalier ; Xavier et Thierry font leur lessive dans l'eau glacée de la rivière...

Les dernières journées défilent dans ma tête… Ce Solukhumbu trail n’est vraiment pas une course comme les autres. Ici, tout invite à progresser lentement ( « Bistaré » disent les Népalais), tout invite à repousser l’échéance de la ligne d’arrivée, tout invite  « à courir et à vivre l’instant présent ». Les pauses ne ralentissent pas le coureur, elles l’enrichissent. Ce n'est pas tant la géographie des lieux qui dépayse, c'est aussi la notion d'écoulement du temps à travers elle. 

Je me remémore aussi les derniers paysages magiques traversés. Le lac sacré de Dodhkunda qui, parait-il, exhausse les vœux, même les plus improbables, un écrin de splendeur avec ses eaux laiteuses et le gigantesque Nubbur qui se reflète à sa surface… Le col du Renjo Pass et le sommet du Gokyo Peak, à 5 300 m, avec leurs chapelets de drapeaux à prières multicolores claquant au vent et avec, surtout, leur vue imprenable sur l’Everest ; une vision mythique ancrée à jamais dans ma tête et qui flotte depuis, en surimpression, sur tout ce que je regarde. Ces lieux sont tellement magiques, tellement chargés d’énergies que des larmes aussi inattendues qu’incontrôlables vous assaillissent… En ces lieux, l’émerveillement est tel qu’on en oublie la fatigue, le froid, les tracas de l’altitude… Nous sillonnons depuis une dizaine de jours un décor de rêve. Le Népal, fidèle à ses promesses, nous enchante à chacune de nos foulées. La performance chronométrique, le classement, le podium… toutes ces valeurs égocentriques bien occidentales sont passées au second plan… nous évoluons au gré des découvertes, au gré des cadeaux que le chemin nous distribue. Nous évoluons ensemble, animés par un esprit de solidarité hors du commun. Les compétiteurs acharnés du départ se sont transformés en compagnons de route. En quelques jours nous sommes devenus « frères d’Himalaya »…  

Passang, mon ami Sherpa dont la bienveillance n’a d’égal que sa virtuosité pour la danse, m’apporte un black tea fumant. Au début du séjour, nous buvions ces grands verres de thé sans y faire vraiment attention alors que maintenant nous les sirotons comme un rituel, en savourant ce véritable instant de détente et de communion. Je pose mon stylo et savoure ce breuvage avec toute l’attention qu’il mérite. J’apprécie le silence feutré qui nous enveloppe. Depuis plus d’une semaine nous évoluons sur des territoires où aucun véhicule motorisé ne circule et pour cause il n’y a aucune route… Tout doit se faire à pieds. Cette absence de bruits, de pollution et de stress participe grandement au dépaysement et rend les lieux d’autant plus surnaturels. Deux yaks au pelage fourni et aux cornes effilées s’abreuvent dans la rivière. Non loin d’eux, un stupa étincelant de blancheur irradie les lieux de sa spiritualité. Tous les jours nous croisons des édifices bouddhistes de ce genre : « chorten », « lungta », « chotar », murs de gravés de « manis »… édifices qu’il nous faut bien prendre garde de contourner par la gauche au risque de devoir subir le courroux des dieux locaux…. Nous suivons ces recommandations avec circonspection.

Je me sens anormalement paisible, sans inquiétude aucune quant à la suite de la course. Le Népal m’aura, en quelques jours, appris ça : que les obstacles se franchissent quand ils se présentent et qu’il ne sert à rien de les anticiper, et encore moins de les redouter par avance. Les rencontres népalaises faîtes en chemin ont toujours été empreintes de cet enseignement qui prône de vivre l’instant présent et de ne pas se préoccuper de ce qu’il pourrait advenir.  Qu’ils soient coureurs, staff, porteurs ou illustres inconnus, les Népalais nous ont toujours surpris par leur sagesse et leur sens de la relativité. Ils sont extraordinaires, toujours souriants, attachants, généreux, attentionnés, humbles  et altruistes. Jamais déstabilisés, jamais inquiets.  Le mot « stress » n’existe pas dans le lexique Népalais. A les côtoyer quotidiennement, à mesurer leur degré de bienveillance et de gentillesse… nous nous sentons tous, pas par compassion mais par assimilation, un peu Sherpas au fond de nous. Sherpas dans le cœur, Sherpas dans l’âme…

Il est 16 h. Le groupe de marcheurs du Solukhumbu arrive. Eux aussi accomplissent un véritable exploit. Ils partent souvent 1h30 à 2h avant les coureurs et terminent les étapes bien plus tard qu’eux. Du coup, j’ai une pensée pour Thierry et Régine rentrés trop tôt en France. Régine était marcheuse, Thierry coureur. C’est un athlète d’exception, entre autre finisher du terrible  Norseman Triathlon… Le premier jour de course, il a fait une chute de 10 mètres de haut. Il s’en est sorti miraculeusement mais, très sérieusement blessé, il a du être rapatrié en hélicoptère. J’ai assisté les médecins qui l’ont pris en charge car je me trouvais sur les lieux au moment de l’accident. Le courage et la sérénité de Thierry m’ont bouleversé. Son rêve de Solukhumbu Trail s’éteignait et lui restait positif et d’un calme incroyable. Je ne connaissais que peu Thierry mais ce moment tragique nous a unit à jamais. Souvent je pense à lui pendant la course, comme si je courais un peu pour lui aussi…

Une absence me envoie à une autre absence de taille. Je pense aussi à Dawa qui nous a quitté à  Cholumo. Que de moments forts et sincères vécus à ses côtés les premiers jours… Comme ces pujas célébrées dans des monastères... comme ces longues discussions avec des vieux lamas sans-âge… comme ces soirées passées chez l’habitant ou le partage des chapatis, de la soupe de makaï et du thé au lait de yak salé tenait du sacré.. Il nous a ouvert les portes d’un Népal authentique et apporte au Solukhumbu Trail une dimension unique.

Dorjee hurle à qui veut bien l’entendre que le «  dinners is ready !». Il est encore tôt, environ 18h, mais le « dal bath » que l’on va vraisemblablement nous servir, sera le bienvenu. Ce plat est très énergétique et adapté aux efforts que nous fournissons quotidiennement. Ici on parle de « dal bath power ». Avant de rejoindre la dinning-room et son poêle alimenté aux bouses de yaks, je profite encore quelques instants des derniers rayons du soleil.

Sans savoir vraiment pourquoi, je supposais, avant de venir ici, que le Népal m’enchanterait. Il ne pouvait en être autrement, je ne pouvais pas être déçu… Mais ce que j’y vois, ce que j’y ressens, ce que j’y apprends m’apporte sont lot de réponses. C’est en venant ici que j’ai enfin compris pourquoi je voulais y venir depuis longtemps… L’Himalaya n’est pas un simple terrain de jeu pour montagnard en mal d’aventures… L’Himalaya est une véritable philosophie à lui tout seul. C’est une école de vie, c’est un maître à penser. L’Himalaya vous saisit, vous enveloppe, vous façonne, vous transforme… L’Himalaya fait de vous un autre Homme, il vous apprend à voir les choses différemment, à raisonner différemment. L’Himalaya vous montre le chemin de la simplicité, de la sagesse et du bonheur ; chemin qu’il nous faudra nous efforcer de suivre quand nous serons de retour chez nous… Nous avons accompli environ les trois-quarts de la course, il nous reste encore 4 étapes à parcourir pour boucler les 300 kilomètres et 20 000 mètres de dénivelé positif qui composent l’intégralité de la compétition. Il nous reste notamment la légendaire étape « Lobuché – Périché » qui va nous faire passer par le Kala Patthar (5 600m) et son point de vue exceptionnel sur l’Everest, le Nupsé et le Pumori… encore de grands frissons et de fortes émotions en perspective… Mais, pas d’empressement, bannissons toute idée de projection, vivons l’instant présent comme le prône la philosophie locale, profitons du « ici et maintenant », de chaque millimètre qui compose notre chemin ; le bonheur n’est pas au bout du Solukhumbu Trail ; le Solukhumbu Trail est le bonheur…

Dorjee repasse entre nous pour nous exhorter à nous rendre à l’intérieur… J’écrirais la suite de mes pérégrinations plus tard… priorité à la reconstitution des organismes…

 

 

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