ULTRA TOUR DU BEAUFORTAIN
Samedi 17 juillet 2010, 4 heures du matin, plan
d’eau de Queige, départ de l’UTB, l’Ultra Tour du Beaufortain.
Je savais que cela allait être très beau et très
dur.
J’allais être servi… Copieusement…
L’UTB, 103 kilomètres, 5 850 mètres de
dénivelé positif, à réaliser en moins de 26 heures.
Un défi de taille !
200 concurrents au départ. 200 bénévoles répartis
tout le long du parcours. Un organisateur pour un coureur ! C’est que
l’UTB est un Ultra typé montagne, même haute-montagne, avec ses pierriers,
névés, arêtes, refuges perchés, balcons rocheux, sommets élevés et à-pics
impressionnants. Assez technique et peu roulant. On aura marché 80% du temps et
couru seulement dans quelques descentes, et encore dans celles qui n'étaient pas trop cassantes.
D’ailleurs, ce n’est pas pour rien si les
organisateurs ont appelé cette course : l’Ultra Tour du Beaufortain et non
pas l’Ultra Trail du Beaufortain. C’est l’esprit trail originel. Rejoindre un
point à un autre de manière pédestre, en marchant ou en courant.
Je me suis inscrit sans trop réfléchir, un peu
poussé par mon collègue Juan-Lucas. Je connais bien le Beaufortain, c’est tout
près d’Albertville. Ce massif est magnifique et pousse à la consommation
d’activités de montagne : ski de rando autour du Grand Mont, vtt aux
Saisies, parapente à la Petit Berge, via ferrata à Roselend…
C’est maintenant, à quelques minutes du départ, que
je réalise vraiment l’ampleur de la tâche. Le massif est immense…
1Er
PARTIE DE COURSE
Bien que préparé à cette course, j’ai du mal à
rentrer dans la danse.
La première montée, ardue, de 1 500 m de D+, qui nous mène au Col de la Roche Pourrie, me lessive. Mon acolyte, Juan-Lucas, visiblement en grande forme, trottine devant. Un pacte de confiance nous unit : « Nous sommes partis ensemble, nous finirons ensemble. Quoi qu’il arrive, nous resterons ensemble ! ». Pour l’instant, il est loin devant, à tel point que je l’ai perdu de vue dans ce monotrace qui ne fit pas de s’élever. Je monte lentement, en peinant. Je suis en queue de course.
Je n’ai pas trop d’expérience en Ultra-trail. J’ai
fait 3 fois la SaintéLyon (Mais peut-on parler d’Ultra ? Et, peut on
parler de trail ?...) et la CCC l’année dernière.
J’ai fait une préparation que je considérai être
sérieuse : plan d’entraînement respecté, blocs de travail éprouvants,
période de repos et récupération. Et j’ai suivi à la lettre, les conseils
avisés (sportifs et diététiques) de Jean-Marc du MTC.
Pourtant, dés la première heure, je sens que je ne
suis pas au mieux de ma forme. Mes sensations sont mauvaises. Je crois que
c’est la première fois que ça m’arrive à un tel point.
Je viens tout juste d’apprendre que l’état de santé
de mon père s’est aggravé et cela me perturbe. Ce trail est exigeant, le niveau
des coureurs est élevé ce qui rajoute à la pression, et ce même si l’on ne
vient que pour participer, avec pour seul objectif de terminer cet incroyable
défi avant la barrière fatidique.
Juan-Lucas m’attend au col de la Roche pourrie,
nous poursuivons la route ensemble dans les alpages des Hauts Tours.
Dans les parties descendantes, piégées de rocailles, je ne me sens pas à l’aise dans mes nouvelles chaussures (que j’ai pourtant déjà testées lors de mes entraînements). J’ai investi dans les « révolutionnaires » Hoka, privilégiant le confort de leur amorti à une quelconque performance. J’ai l’impression que leur haute semelle EVA n’assure que peu de stabilité. Je manque plusieurs fois de me tordre la cheville…
Au col de la Bathie, un soleil généreux nous
accable de sa chaleur. Avant d’arriver au Refuge des Arolles (1er
ravitaillement), des menaces de crampes me titillent à l’intérieur des cuisses.
Je n’ai que rarement des crampes et, en tous cas, jamais en début de course…
Quoique que cela fait déjà 3 h 30 que nous courons.
Tout ceci commence mal, ça promet…
Aux Arolles, nous retrouvons Kat et Dawa qui se
sont levés à 4 heure du matin pour venir nous encourager. Ça me fait très
plaisir de les voir mais cela n’enlève pas ma fatigue et ma désillusion.
Nous repartons, sous un soleil de plomb, vers le
barrage de Saint Guérin en empruntant un sentier sauvage et escarpé, taillé
entre les myrtillés, les rhododendrons et les éboulis. Je reste à la traîne, Juan-Lucas doit
m’attendre souvent. Au barrage, je suis en rupture d’eau. Je dois mon salut à
une sympathique camping-cariste belge qui remplit ma gourde de 1 litre.
Nous contournons la retenue d’eau par la gauche et
attaquons l’éprouvante ascension vers le Cormet d’Arêches. Juan-Lucas, lassé de
m’attendre, s’est volatilisé. Je prends un premier gel énergétique car je me
sens tout faible. Je fais la route avec des coureurs inconnus qui ont l’air
aussi épuisé que moi. Mes chaussures, avec leur look particulier, intriguent.
Beaucoup me questionnent à leur sujet.
Je pense beaucoup à mon père. Son image occupe mon esprit.
Je retrouve JL au 2nd ravitaillement,
celui du Cormet d’Arêches. Il y a du vent. Le ciel est tout voilé par une
espèce de banc nuageux très volatile. Du coup, il fait beaucoup moins chaud. Je
me précipite sur la longue table et mange un peu de tout sans me soucier le
moins du monde des effets que cela pourrait avoir sur mon estomac. Tranches de
saucisson, de jambon, de pomme, d’orange, cacahuètes, carreaux de chocolat,
pâté en croûte, banane… Je bois aussi énormément : Coca, eau gazeuse,
boisson énergétique. Je passe un t-shirt à manches longues car je me suis vite
refroidi.
2ND
PARTIE DE COURSE
Ce ravitaillement, royal, m’a requinqué. Nous
rejoignions le Col du Coin en passant par la Croix du Berger. Le ciel reste
voilé mais la reprise de la marche me réchauffe vite. Je repasse rapidement le
t-shirt orange vif du Marseille Trail Club.
Au Col du Coin, il y a JM du MTC, en vacances en
Savoie, qui est venu m’encourager mais je ne l’ai pas vu.
Nous apercevons la mythique Pierra Menta, un
monolithe rocheux qui fait la fierté du Beaufortain. La vue de cette montagne,
que je n’ai jamais approché, que j’ai toujours observé de loin, me remonte le
moral. Je n’ai pas encore trouvé mon rythme de course mais j’arrive à faire en
sorte de ne pas trop creuser l’écart avec mon partenaire.
Nous longeons le somptueux lac d’Amour et grimpons par un sentier herbeux vers le Col à Tutu. Nous sommes tout près, à portée de main de la Pierra Menta. Après le Col à Tutu, je tombe sur Pierre Duc, un signaleur qui oriente les coureurs dans la bonne direction. Je connais Pierre, nous avons travaillé ensemble du temps où il était CPC. Ça me fait plaisir de croiser un visage connu, jovial et de pouvoir échanger quelques mots.
Nous arrivons au Refuge de Presset (2 500 m),
un refuge typique de montagne ou nous sera proposé notre troisième
ravitaillement. Le panorama est enchanteur, l’ambiance est très haute-montagne.
Un rayon de soleil vient percer les nébulosités et illuminer le site. Tout cela
me redonne du poil de la bête. Je me sens en meilleure forme. Je mange pas mal
de fruits secs et frais, évitant cette fois les charcuteries qui s’empilent
dans les assiettes.
Nous longeons le miroitant Lac de Presset, bordé
d’immenses névés de neige que nous allons devoir traverser. Nous montons, par
un tracé pierreux vers le Col du Grand Fond, le point culminant de l’épreuve
qui avoisine les 2 700 mètres. Nous voyons un contrôleur posté tout la haut,
drapé d’une grande cape pour affronter le vent et le froid. De là où nous
sommes, nous avons l’impression qu’il s’agit de Zorro !...
Nous redescendons ensuite la Brèche de Parozan par
un immense pierrier de schiste gris. Juan-Lucas descend là dedans comme s’il
était sur des skis. Quant à moi, je modère mon euphorie retrouvée et pense à
préserver mes quadriceps.
L’immense Lac de Roselend s’offre à nous. Nous
longeons un petit sentier à contre-pente qui foisonne de d’orchidée-vanille et
de rhododendrons. Ceci explique l’étymologie du nom Roselend. (Roselend = Rose Land = la Terre Rose).
Je colle à JL et arrive enfin à suivre son allure. Je reprends espoir, les
choses semblent s’arranger pour moi. Nous passons à proximité de la Petite
Berge et trottinons, à travers les hautes gentianes, au milieu des troupeaux de
vaches, pour atteindre Plan Mya, lieu du 4ième ravito. On se régale
d’une bonne soupe aux légumes et aux vermicelles. Mon GPS Garmin affiche 51
kilomètres, soit quasiment à mi-course.
La moitié est derrière nous mais il y en a autant
devant…
Nous montons en direction du le Refuge de la Croix
du Bonhomme. Un sentier exceptionnel, celui de la Crête des Gites, taillé en
balcon sur une arête, nous y conduit. J’ai retrouvé la forme, je ne sais pas
pour combien de temps ?... J-L, par contre, accuse le coup. Je prends le
relais, passe devant et imprime le rythme. Petit à petit, le positif prend le
pas sur le négatif. Un bel exemple de l’impermanence des choses.
Je me suis habitué à mes nouvelles chaussures. Je repense encore à mon père mais, cette fois, de
manière différente. Je repasse en revue les longues heures de marche que nous
avons effectuées ensemble, plus jeunes, dans le Queyras. Lui qui adorait la
randonnée solitaire, serait fier de moi en voyant ce que je suis en train
d’accomplir.
Au Refuge du Bonhomme, nous faisons le plein d’eau
et repartons vers Plan Joyet.
Cécile, une fille du coin qui a élu domicile en Angleterre, se joint à nous pour la suite.
Arrive ensuite, l’ascension du fameux col de la
Fenêtre. Le chemin qui y monte serpente dans les éboulis. Au col, les
contrôleurs nous félicitent et s’enquiert de notre forme physique.
Tout au long de la course, l’ensemble des bénévoles
croisés ; ravitaillement, poste de contrôle, signaleurs,… ; nous ont
encouragé et félicité avec ferveur et gentillesse. Ils méritent tous notre
gratitude pour conserver un tel enthousiasme malgré la fraîcheur ambiante et la
longueur de l’épreuve.
Nous passons devant des télésièges. Nous arrivons
au Col du Joly, au cœur du domaine skiable des Contamines dans une obscurité
naissante. Il est autour des 21 heures. C’est le cinquième ravitaillement. Il
doit rester environ 30 kilomètres à parcourir. Nous nous hydratons et nous
habillons chaudement.
3IEME
PARTIE DE COURSE
Frontales éclairées, nous avançons sur des sentiers
boueux enveloppés par un brouillard à couper au couteau. Le relief est beaucoup
plus doux même s’il reste encore de belles côtes à monter. Nous avons constitué
un groupe de 5. Cécile, les 2 Cédric ; un de la Roche sur Foron et un de
la région bordelaise, et nous deux. Nous ne sommes pas trop de 5 pour trouver
les balisages. Le parcours s’apparente quelques fois à un jeu de piste. Nous
resterons ensemble jusqu ‘au Col de Véry.
Mon GPS s’éteint. Batterie vidée. Les 20 heures
d’autonomie sont épuisées.
JL a bien récupéré, moi je suis toujours en forme.
Nous quittons le groupe et accélérons un peu notre rythme de progression. Un
beau sentier d’alpage herbeux nous fait grimper jusqu’au Mont de Vores ou nous
attend un orchestre de cuivre improvisé à base de clairon et de vouvouzella.
Nous avançons bon train malgré le dénivelé et la fatigue et passons au Mont
Clocher.
Nous arrivons assez vite, à notre grande surprise,
à la station de ski des Saisies par le sommet du télésiège du Char du Beurre.
Nous dévalons les pistes herbeuses avec retenue et rentrons dans le village des
Saisies à 1 heure du matin. La rue principale est déserte. Devant l’Office du
Tourisme, un comité d’accueil nous offre le 6ième ravitaillement.
Joel et son épouse (des amis de Juan-Lucas) et tous les autres bénévoles
présents nous ovationnent comme si nous étions les deux premiers de la
course ? Les premiers, ils doivent dormir profondément à cette heure ci.
Ils ont passé la ligne d’arrivée, hier vers les 17h (1er = Thierry BOCHET en 13 h10', avec des Hoka aux pieds...)…
Nous ne nous attardons pas trop, il nous reste
encore entre 2h30 et 3 heures à faire. Une fille est allongée sur une chaise.
Elle est décomposée. Elle nous dit qu’elle ne s’attendait pas à rencontrer de
telles difficultés en venant ici. Pour elle, le Beaufortain, c’était de la
montagne à vaches…
Joel court à nos côté jusqu’au lac artificiel puis
nous traçons dans les pistes jusqu’à Bisanne. Dernière petite ascension jusqu’à
la Croix de Coste.
S’en suit une longue, une interminable, descente
d’une dizaine de kilomètres et de 1400 mètres de dénivelé. Juan-lucas court
comme un cabri. Je le suis comme je peux, évitant cailloux et racines. Mes
cuisses me brûlent mais je m’accroche. De temps en temps, nous marchons pour
récupérer un peu. Nous touchons au but. Un sentiment de fierté nous envahi. Nous
avons réussi ce pari fabuleux. Nous avons su gérer la durée, la fatigue et
maintenir notre motivation intacte. Je dois beaucoup à Juan-Lucas qui m’a
épaulé tout le long de ce périple.
Nous arrivons dans Queige.
Il est 3 h 47’ du matin. Nous avons couru 23 h 47’…
Nous terminons, ex æquo, à la 109ième place sur 120 arrivants. Il y
a eu 27 abandons.
Nous buvons un thé brûlant, récupérons notre
t-shirt Finisher et notre médaille en
bois.
5 h. Une douche et au lit. Demain, à mon réveil,
j’appellerai mon père pour lui raconter cette folle aventure. Je suis sur qu’il
appréciera.